Comme de nombreux jeunes haïtiens, Obed Sindy a eu pour la première fois accès à Internet dans le laboratoire d’informatique de son lycée.
En Haïti, Internet reste vu comme un luxe, et seuls 32 % de la population l’utilisaient en 2018. Bien que ce taux reste largement inférieur à la moyenne mondiale (49 %), il s’agit d’une augmentation marquée par rapport au taux de pénétration, estimé à 12 % en Haïti entre 2015 et 2017.
Obed a pour la première fois entendu l’accès à Internet être évoqué comme une question touchant aux Droits de l’Homme durant sa licence en Sciences de l’éducation et sociales à l’université adventiste d’Haïti.
« Les télécommunications sont trop chères en Haïti, ce qui exclut de nombreuses personnes. Nous avons besoin de règles pour assurer plus d’équité pour l’accès à Internet. Nous parlons de l’accès à la 5G, alors que certains n’ont aucune connexion, ou une connexion trop faible pour télécharger un simple PDF. Mais chacun a droit à Internet. »
Obed Sindy
Obed est devenu un membre international de l’Internet Society en 2013 et s’est inscrit à une série de programmes de formation en ligne afin d’approfondir ses connaissances dans le domaine des TIC pour l’éducation. Il a notamment obtenu un certificat en Innovation et Techno-pédagogie de l’université de Montréal en 2015 et un certificat en Formation numérique de l’Université des Nations unies-MERIT en 2016.
En 2016, lorsqu’il a découvert le programme de bourses pour les Forums sur la gouvernance de l’Internet (IGF) de l’Internet Society, Obed a posé sa candidature, qui a été acceptée, mais son visa ne lui a pas été accordé. Il n’a cependant pas abandonné, et a finalement assisté à l’IGF de Genève en tant que jeune boursier en 2017.
« C’est le premier élève dont j’ai été mentor, et il est vraiment formidable », explique Alejandra Prieto, cadre supérieure responsable du programme de bourses pour les jeunes de l’ISOC. « Dès qu’il y avait un problème, il le surmontait, qu’il s’agisse de visa ou de barrière linguistique, ou même de perte de bagages. C’était la première fois qu’il sortait d’Haïti. Il a participé à tout, et voulait être présenté à tout le monde. Il était très ému et sincèrement reconnaissant. Il m’envoie encore des messages sur WhatsApp pour me tenir informée de ses progrès. Il représente une histoire de réussite dont je parle tout le temps. »
Obed avait 25 ans durant l’IGF, et il trouve que cette expérience a été extrêmement enrichissante.
Durant la formation de l’IGF, Obed a demandé s’il existait un chapitre de l’Internet Society en Haïti, et il a été surpris d’en découvrir un. Il l’a rejoint en décembre 2017 et est devenu membre actif du Groupe de l’intérêt spécial Jeunesse.
« Je ne savais pas que des élections arrivaient », explique-t-il humblement. « Plusieurs jeunes de mon réseau m’ont incité à me porter candidat, et m’ont dit qu’ils voteraient pour moi. Je ne m’attendais vraiment pas à être élu Président du chapitre quelques mois plus tard [en mars 2018]. Je n’avais que 26 ans. »
« Nous souhaitons faire partie des héros qui connectent les individus », explique-t-il. « Conformément à la mission de l’Internet Society, nous désirons que les parties impliquées s’organisent entre elles pour agir de manière collective pour développer Internet en Haïti. L’accès à Internet est une priorité et reste un problème important. Nous préparons le terrain, mais il subsiste de nombreux problèmes. Nous essayons vraiment d’impliquer les jeunes, qui sont la prochaine génération. »
Le chapitre voit dans les réseaux communautaires la solution pour surmonter les principales failles dans l’accès à Internet en Haïti. Il y a cependant un problème : aucun RC n’est parvenu à être mis en place en Haïti, ni même dans les Caraïbes.
« De nombreuses questions se posent. Il faut traiter avec les gouvernements pour obtenir du spectre, il y a les problèmes d’infrastructure… Mais Obed a commencé à mobiliser la communauté locale, ce qui est important, » explique Shernon Osepa, Directeur de l’Internet Society pour les Affaires et le Développement des Caraïbes. Obed est un excellent leader, un excellent motivateur, et il est connu pour sa passion pour Internet. Il a dirigé différents programmes de formation en Haïti. »
Obed a gagné le prix 10 Outstanding Young Persons Award de la Jeune chambre internationale en 2019. Membre de plusieurs organisations, il a également participé à la fondation de Digital Grassroots, une organisation à but non lucratif qui incite les jeunes à traiter des problématiques relatives à Internet de manière proactive au sein de leurs communautés, grâce à des formations aux bases du numérique, à des événements pour se rencontrer et au militantisme.
Afin de servir de catalyseur aux réseaux communautaires, le chapitre d’Haïti a récemment organisé une formation sur six semaines pour 120 jeunes professionnels de leur organisme de réglementation (CONATEL), du secteur privé et de la société civile, pour les aider à être à l’initiative des RC. Soutenues par une Petite bourse de Beyond the Net de la Fondation Internet Society, d’un montant de 3 500 $ US, les formations se sont déroulées en ligne en juin et juillet 2020, presque tous les participants ont suivi la formation dans son intégralité et 87 d’entre eux ont obtenu un certificat.
Le chapitre a également publié un livre qui analyse les défis auxquels sont confrontés les RC en Haïti, comme par exemple le fait qu’une bonne connexion à Internet peut coûter près de 8 % du salaire mensuel des utilisateurs, un obstacle majeur dans un pays où 70 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour. Un article souligne que la couverture électrique est inégale, et touche 50 % des zones urbaines contre 15 % des zones rurales. Il existe d’autres difficultés, comme le manque de réglementation, les questions relatives au spectre et aux fréquences, et le retour sur investissement dans des communautés ayant un faible pouvoir d’achat.
Ce livre comporte également des témoignages de participants à la formation aux RC:
« Cette formation représente une belle opportunité pour les jeunes Haïtiens, tels que moi, qui sont prêts à s’impliquer dans une évolution positive grâce à l’action communautaire ».
Livens Saint-Vil, un technicien de Radio Universelle qui compte mettre en place un réseau communautaire à Dilaire, dans le nord-est du pays.
Obed explique que le chapitre prévoit d’organiser une deuxième formation pour les participants les plus engagés, avec des supports visant à promouvoir l’accès dans des écoles marginalisées.
Il explique que, durant le confinement imposé par la COVID-19, Haïti s’est essayé aux cours en ligne, mais qu’il reste trop de difficultés et de lacunes (en ce qui concerne l’accès à Internet, les appareils, l’espace, l’électricité, etc.). Le gouvernement s’est également intéressé à la piste d’une éducation basée sur la télévision, mais celle-ci ne s’est jamais concrétisée. Le télétravail n’a été envisageable que pour l’élite.
Le chapitre a également demandé, et vient juste d’obtenir, une importante bourse Beyond the Net d’un montant de 30 000 $ US de la Fondation Internet Society, pour une initiative visant à cartographier les accès à Internet et leurs vitesses, en particulier dans les lieux les plus vulnérables, à qui bénéficieraient les RC. Le rapport comparatif répondra au manque de données nationales, car les institutions haïtiennes se fient actuellement à des estimations globales plutôt que de produire leurs propres données.« Avec ces données locales ciblées, nous espérons pousser les décideurs à l’action. Ils verront immédiatement les besoins », explique Obed. « Nous devons également veiller à ce que les projets s’inscrivent dans la continuité ».